SAINT SACREMENT

SAINT SACREMENT

De tous les sacrements institués par le Christ pour nous communiquer la vie du Père, pour la conserver et la développer, l’Eucharistie est la plus grande et c’est justement pour cela qu’on l’appelle aussi « Très Saint Sacrement ». Il rend le Christ réellement présent dans les espèces du pain et du vin, lui permettant ainsi de perpétuer le sacrifice du calvaire et de nous faire vivre dans la communion de sa propre vie, celle qu’il vit avec le Père. La fête du « Corpus Domini », (Corps du Seigneur) que nous célébrons en ce jour, nous donne donc l’occasion de réfléchir sur le don que le Christ Ressuscité fait de lui-même dans l’Eucharistie. En effet, une attitude est commune aux trois lectures de ce jour, c’est celle du don : Abraham, après avoir été béni par Dieu pour sa victoire à la guerre, donne au prêtre le dixième de tout ce qu’il possède ; Jésus, dans l’évangile, donne à manger à cinq mille personnes tout ce que lui et sa communauté des disciples avait sur eux, cinq pains et deux poissons ; saint Paul, dans la deuxième lecture, donne aux disciples qui ont rejoint la communauté après lui, tout ce qu’il a reçu lui-même du Seigneur, le mémorial de la Cène qui eut lieu la veille de la passion du Christ. Même si l’attitude est le même, le mouvement que ce don assume n’est pas le même dans les trois cas. Dans le passage de la Genèse, Abraham reconnaît avoir reçu une bénédiction de Dieu qui lui a permis d’obtenir une victoire, une suprématie sur ses ennemis et en donnant à celui qu’il reconnaît comme médiateur de cette bienveillance divine la dixième partie de tout ce qu’il possède, il exprime sa gratitude à Dieu. Le premier mouvement du don que l’homme fait à Dieu est donc comme une réponse, une reconnaissance de ce que Dieu le premier a fait à l’homme. Dans l’évangile au contraire, le don assume une double nouveauté par rapport à celui d’Abraham : avant tout, c’est un don total. Jésus ne donne pas une dixième partie de ce qu’il a, mais il donne tout. Il donne tout à la foule sans réserve. Et la deuxième nouveauté du geste de Jésus est que ce geste ne s’inscrit pas dans la logique du donner et du recevoir, de l’échange, de la réciprocité. Jésus n’a rien reçu de cette foule avant d’accomplir son geste qui n’est ni une réponse, ni une reconnaissance, ni un échange, mais une initiative gratuite qui démontre l’amour de Jésus pour les personnes puisque depuis le début du jour il les enseignait en prenant soin d’eux et en étant avec eux. Jésus se donne à nous sous la forme du pain et du vin, devenus au cours de la messe, sa chair et son sang. En les assimilant, nous vivons de sa vie divine, sa vie divine s’incorpore à nous : « Non seulement chacun d’entre nous reçoit le Christ, mais aussi le Christ reçoit chacun d’entre nous. Il resserre son amitié avec nous : “Vous êtes mes amis” (Jn 15, 14). Quant à nous, nous vivons grâce à lui : “Celui qui me mangera vivra par moi” (Jn 6, 57). Pour le Christ et son disciple, demeurer l’un dans l’autre se réalise de manière sublime dans la communion eucharistique : “Demeurez en moi, comme moi en vous” (Jn 15, 4) » (Jean-Paul II : Ecclesia de eucharistia 22). Alors quel visage de Dieu nous révèle Jésus à travers ce geste ? Le Dieu de Jésus-Christ, le Dieu du pain rompu, partagé et distribué, est le Dieu qui aime les hommes d’un amour gratuit. Il n’y a pas de somme arithmétique ou algébrique en lui ni l’attente d’un retour du don, il n’y a pas de calcul. Il y a seulement une initiative libre, le flux de la vie qui vient, le don qui est donné abondamment à tous, parole, pain et guérison. Il n’y a que l’amour qui se déverse tout le jour et tous les jours. Dieu ne s’arrête jamais, son don ne finit pas, il agit toujours, que nous arrivions à l’aube ou au coucher du soleil. Il se reverse aussi bien sur les bien-portants que sur les malades, sur ceux qui ont l’intelligence pour aller chercher tout seul leur pain que sur ceux qui ne peuvent trouver la force de marcher, sur ceux qui savent bien se débrouiller que sur ceux qui ne savent plus quoi faire. Le don de Dieu est offert à chacun, sans cesse, sans mesure et sans réserve. De même saint Paul dans la deuxième lecture donne aux frères et sœurs tout ce qu’il a, la chose la plus précieuse qu’il ait reçue, la foi en Jésus-Christ qui a donné sa vie et a exprimé cet amour dans le geste du pain et du vin. Saint Paul, pendant des années, n’a pas donné la dixième partie de ce qu’il avait connu et compris, mais il a tout donné. Il ne s’est rien gardé pour lui-même et n’a pas attendu d’avoir une dette envers les personnes avant de commencer sa tournée missionnaire dans toute la méditerranée en parlant de Jésus et en transmettant ce qu’il avait reçu lui-même. Il a appris cela de Jésus et il l’a imité en se donnant avec zèle pour la mission. Cette attitude de Paul, modelée sur celui du Christ lui-même, nous fait comprendre ce que signifie vivre eucharistiquement. Il s’agit d’apprendre à donner en premier, et à tout donner, sans réserve. Chacun de nous peut appliquer cela à sa vie : savoir prendre l’initiative et faire des choses par pur amour sans attendre de retour et d’échange. C’est cela un style eucharistique de vie. A la messe, nous aussi, nous prenons part à la table du Seigneur. Aujourd’hui, en la fête Dieu, l’Eglise nous invite à réfléchir sur le sens de ce geste qui nous est désormais habituel. Que veut dire s’asseoir à la table de l’Eucharistie ? Le Christ est le Vivant, celui qui ne meurt plus. Il nous donne une vie qui ne meurt plus parce qu’il a su dresser la table comme personne ne l’a jamais fait. Et ainsi la table de la répartition du gain est devenue la table du partage de l’unique pain avec tous. La table des drames et des complots est devenue la table de l’amitié offerte sans condition, du lavement des pieds même aux ennemis. La table du soutien offert aux seuls voisins est devenue la grande table du monde où peuvent s’asseoir les amis et les traditeurs, les disciples fidèles et ceux qui sont inconstants. Il y a une place pour chacun de nous à cette table. Mais décider de nous y asseoir nous engage : le Christ nous demande de vivre comme lui ; d’aimer comme lui et de tout donner comme lui.